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Entretien avec le contre-ténor Jake Arditti

Alice M. Ferrettini 21 juillet 2023
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Jake Arditti Ⓒ Clemens Tiefenthaler

Présent sur les scènes françaises durant le premier trimestre 2023, Jake Arditti est un contre-ténor qui se fait remarquer par son chant impeccable, sa joie de vivre et son jeu théâtral magistral. Entretien avec ce chanteur lyrique qui nous raconte son parcours.

Vous avez commencé votre carrière professionnelle très jeune, à 11 ans, dans le rôle d’Yniold dans Pelléas et Mélisandre. C’est un début de carrière précoce ; d’où vous est venue cette vocation ? Votre environnement social et familial était-il familier avec le monde de la musique classique et surtout du chant lyrique ?

Il est de plus en plus fréquent que les gens demandent à mon père “êtes-vous apparenté au contre-ténor Jake Arditti ?”, nous en plaisantons tous les deux. Ce n’est pas un secret que je suis issu d’une famille de musiciens : je suis le fils d’Irvine Arditti, fondateur de l’Arditti
Quartet. Lui et ma mère (également instrumentiste à cordes) se sont rencontrés pendant leurs études à la Royal Academy of Music de Londres. […] Mon beau-père est un DJ de rock légendaire et ma belle-mère une compositrice. Mes deux frères ont appris à jouer d’un instrument quand ils étaient enfants et, bien que nous soyons une bande d’immenses
musiciens, mes parents ne m’ont pas poussé à jouer d’un instrument […]. Toujours en train de chanter, de danser et de monter un spectacle quand j’étais enfant, je pense qu’ils savaient dès le départ que j’étais destiné à être un artiste et à utiliser ma voix. Notre voisine travaillait pour l’English National Opera (ENO) et […] s’est arrangée pour que je chante devant le directeur des enfants de l’époque, qui m’a fait entrer dans le chœur des enfants de la Tosca. Je ne savais pas alors que j’étais destiné à devenir un contre-ténor, ce qui signifiait malheureusement que ce serait l’une de mes seules rencontres avec Puccini.

Quel type de formation avez-vous suivi ?

J’ai commencé à prendre des cours de chant dès que j’ai su que je me produirais régulièrement en tant que membre du chœur d’enfants de l’ENO, mais j’ai ensuite commencé à obtenir des rôles en tant que soliste […]. Je devais faire mes débuts internationaux au Festival d’Aix-en-Provence, dans le rôle de Miles dans Turn of the Screw de Britten, mais ma voix a commencé à se briser peu de temps après l’audition, ce qui a écourté mes débuts. Une fois la situation rétablie, j’ai découvert que je pouvais à nouveau chanter dans ma gamme d’aigus. Mon professeur de chant m’a dit : “Tu es un contre-ténor”. J’ai commencé à prendre des cours de chant avec mon mentor et (désormais) cher ami Andrew Watts, qui est aussi un contre-ténor. Professeur à la Guildhall School of Music and Drama, Andrew m’a encouragé à auditionner pour le prestigieux conservatoire de musique, et j’ai étudié à la Guildhall de 2005 à 2009. J’y ai obtenu ma licence avec Andrew comme professeur et j’ai poursuivi mes études au Royal College of Music, où j’ai obtenu un master et un diplôme d’opéra en 2013.

Votre palette vocale vous permet de chanter des rôles et des répertoires très différents. En avez-vous un préféré ?

Bien que j’aie appris à aimer l’opéra en tant que forme d’art, ce n’est pas seulement la passion viscérale pour la musique qui m’a attiré sur scène. J’ai réalisé que chanter de l’opéra était un moyen de marier toutes les choses que j’aimais dans le métier d’interprète : la musique sensationnelle (bien sûr), les costumes, l’éclairage, le mouvement, la camaraderie au sein d’une troupe et, plus important encore pour moi, le théâtre de l’opéra. […] Le plus important pour moi est de savoir si un rôle est riche et diversifié sur le plan dramatique : si le personnage m’intéresse et que le rôle correspond bien à ma voix, comptez sur moi ! Pour preuve, j’ai récemment interprété deux rôles, coup sur coup, qui n’auraient pas pu être plus différents : au cours de l’été 2022, je suis passé du rôle de l’empereur Nerone, l’un des “mauvais garçons” les plus infâmes et les plus tyranniques de l’histoire, dans L’incoronazione di Poppea de Monteverdi au Festival d’Aix-en Provence, à l’interprétation d’Erissena, une princesse flirteuse et frivole dans Alessandro nell’Indie de Leonardo Vinci, que j’ai joué en travesti au Festival baroque de Bayreuth.

Votre performance sur scène, et en particulier votre présence, a été saluée par les critiques. Aimez-vous cette partie de la comédie ? Comment vous y préparez-vous ?

En grandissant, j’étais un artiste naturel : bien avant de mettre les pieds sur une scène, je me pavanais dans la maison en chantant, en dansant, en me déguisant et en faisant un spectacle pour tout public disponible autour de la maison. Je savais donc […] que j’aimais incarner différents personnages, mais ce n’est qu’en vieillissant et en acquérant plus d’expérience en tant que musicien que j’ai compris ce qui m’avait attiré vers le théâtre dans mon enfance. On attend des chanteurs d’opéra qu’ils se présentent aux répétitions en ayant mémorisé leur rôle et en ayant des “notes parfaites”, mais je passe aussi beaucoup de temps à développer des idées pour mon personnage lorsque je prépare un rôle. Il est impératif d’utiliser des traductions littérales lorsque l’on étudie une partition, car elles éclairent le sous-texte et la multitude de nuances d’un personnage et sa trajectoire tout au long de la pièce. Mon style de travail est très collaboratif, donc travailler avec des acteurs, d’autres chanteurs et des metteurs en scène qui accordent une grande importance au développement authentique des personnages est incroyablement gratifiant pour moi. C’est peut-être la raison pour laquelle j’aime particulièrement le processus d’une nouvelle production d’opéra : disposer d’un temps suffisant avec d’autres artistes consciencieux pour explorer les personnages et leurs relations crée un théâtre authentique […].

Vous commencez l’année 2023 à Versailles, puis à Rouen. En lisant votre biographie, on constate que vous vous êtes produit sur de nombreuses scènes françaises, que ce soit dans des opéras ou des festivals. Diriez-vous que c’est une scène et un public favorable à la musique classique ?

J’ai l’impression que le public français apprécie profondément la musique classique, et je suis toujours accueilli avec une chaleur et un enthousiasme incroyable par le public lorsque je me produis en France. Je pense que cette attitude positive à l’égard des arts est due en grande partie au fait que le gouvernement français apporte un soutien financier substantiel aux organisations artistiques […]. C’est presque comme si le gouvernement français considérait l’accès de ses citoyens aux beaux-arts comme un droit “citoyen” ; étant donné ce qui s’est passé avec le financement des arts au cours des derniers mois au Royaume-Uni, je respecte vraiment l’ardeur avec laquelle les arts sont chéris en France, et j’aimerais que la même mentalité soit partagée dans mon pays d’origine.

Quel rêve professionnel “absolu” aimeriez-vous voir se réaliser ?

J’ai la chance d’avoir déjà réalisé un grand nombre de mes rêves professionnels. Honnêtement, tant que je travaille avec constance et que je fais de mon mieux en tant qu’artiste avec des collègues qui s’efforcent eux aussi de faire de leur mieux chaque jour, je suis heureux. Cela dit, ce serait un luxe de chanter un Ruggiero dans Alcina de Haendel, ou, à vrai dire, un Jet dans West Side Story – d’une certaine manière, je pense que le premier rôle de rêve a probablement plus de chances de m’être offert !

Les publics pourront retrouver ce contre-ténor de talent pour sa saison 23/24 dans les rôles suivants : Nerone dans L’incoronazione di Poppea de Monteverdi à Bâle, Cologne et aux Pays-Bas ainsi qu’en Rinaldo dans l’opéra de Händel au Pinchgut Opera de Sydney

Propos recueillis et traduits par Alice M. Ferrettini

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